L'évolution de la légende

 Le manuscrit d'Oxford

Des faits historiques précédemment cités sont nés plusieurs manuscrits, certains très fragmentaires, en langue française. Le plus ancien d'entre eux est conservé à la bibliothèque bodléienne d'Oxford en Grande-Bretagne. Il a été recopié entre 1140 et 1170 en anglo-normand, langue de la classe dirigeante d'Angleterre. C'est le manuscrit le plus respecté et celui sur lequel se basent la plupart des traductions.

 Diverses interprétations

Deux écoles se sont longuement affrontées :

  La théorie traditionaliste

qui favorise le genre oral et populaire et affirme que la Chanson de Roland dérive de poèmes datant de l'époque carolingienne.
Tenant de cette théorie traditionaliste, Gaston Paris émet en 1865 l'hypothèse des cantilènes, chants lyriques en langue vulgaire nés au lendemain des faits historiques et transmis oralement de générations en générations. La matière s'étoffe et s'amplifie peu à peu pour atteindre sa forme définitive au XIe siècle.
[1]

  La théorie individualiste

qui estime que la Chanson de Roland a été rédigée au XIe siècle par un unique poète.
Joseph Bédier, vers 1915, prend le contre-pied de la théorie traditionaliste dont le défaut, pour lui, est "de faire parler le silence des siècles". Il pense à des origines cléricales et tardives de la Chanson de Roland. Celle-ci serait née d'une collaboration entre moines et jongleurs dans les sanctuaires qui jalonnent la route des pèlerinages. Ce serait à partir de ce travail qu'un auteur de génie aurait créé de toutes pièces l'épopée au XIe siècle.
[2]

Ces partis pris tranchés n'ont finalement plus parus satisfaisants et une autre théorie a vu le jour :

  Le néo-traditionalisme

qui s'oppose à Bédier et propose l'existence d'une tradition ancienne modifiée et enrichie durant toute l'époque qui a précédé la copie du manuscrit d'Oxford. [3]

Depuis les années 60, les recherches se sont plus intéressées à la forme qu'à l'origine de l'oeuvre :

  Jongleurs et performances

Le néo-traditionaliste Jean Rychner propose l'hypothèse d'une création improvisée par des jongleurs. Ceci implique évidemment l'existence d'une légende préalable bien établie et envoie aux oubliettes le concept de l'auteur unique. Comment, dans ce cas expliquer l'existence de versions écrites ? Selon cette théorie, ce serait la simple transposition de la performance orale, une sorte d'aide-mémoire à l'usage du jongleur. [4]

  Hagiographie

Quelques chercheurs pensent que les chansons de geste sont apparentées aux textes consacrés à la vie des saints et ont une origine cléricale. Le style de la première version de la Vie de saint Alexis, qui a été composée vers 1050, présente des caractères tout à fait voisins de ceux de la Chanson de Roland.  [5]

  Épopée latine

Certains auteurs ont tenté d'établir une rapport entre la chanson de geste et l'Enéide de Virgile. Cette théorie est fondée sur des rapprochements trop ponctuels pour faire l'unanimité. Elle vise surtout à trouver le chaînon manquant entre les événements de l'époque carolingienne et les textes qui nous sont parvenus.[6]

  Mythes indo-européens

Dans les années 80 et dans la lignée des travaux de G. Dumézil, Joël Grisward a fait un rapport entre la structure de la forme épique et la structure trifonctionnelle de l'idéologie indo-européenne : fonction magico-religieuse et juridique, fonction guerrière et fonction en relation avec la richesse et la volupté. Dans ce cas de figure, l'histoire et les évènements ne seraient qu'un prétexte, une sorte de déguisement du mythe pour l'adapter à un public donné. [7]

  Mise en situation

Les chansons s'adressaient au public du XIe ou du XIIe siècle et on ne peut pas faire abstraction de leur actualité. Or ce public était en grande majorité analphabète et ne pouvait accéder à la poésie que par voie orale. Les poèmes épiques se déclamaient avec un accompagnement musical et devant un auditoire. Parallèlement à ces performances, la conservation de centaines de manuscrits médiévaux prouvent qu'il s'était établi une mise en écrit du poème épique et celle-ci de la fin du XIIe siècle jusqu'au XVe siècle.
L'actualité c'était aussi les grandes questions du temps : Les croisades, la reconquête de l'Espagne par les chrétiens. Le mythe carolingien des chansons de geste doit répondre à ces attentes. A ce sujet, Dominique Boutet écrit : " Les poètes épiques ne se contentent pas de réutiliser une structure ancienne : leur tâche est de l'intégrer dans une conception du monde, à la fois chrétienne et féodale, qui est celle du XIe et du XIIe siècle."
[8]

haut de page

1. PARIS G. Histoire poétique de Charlemagne, Paris, Emile Bouillon, 1974
2
. BÉDIER J. Les légendes épiques, Paris, Champion, 1908
3. MENÉNDEZ PIDAL R. La Chanson de Roland et la tradition épique des Francs, Paris, Picard, 1959
4. RYCHNER J. La chanson de geste. essai sur l'art épique des jongleurs, Genève, Droz, 1955
5. MONTEVERDI A. La technique littéraire des chansons de geste, Paris, Belles Lettres, 1959
6. WILMOTTE M. L'épopée française, Origine et élaboration, Paris, Boivin, 1939
7. GRISWARD J. Archéoéogie de l'épopée médiévale, Paris, Payot, 1981
8.
BOUTET D. La Chanson de geste, Paris, PUF, 1993

 

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