Les chrétiens

Les poètes ont une manière bien caractéristique de présenter le christianisme, qui est un trait propre à la convention. Le christianisme apparaît parfois nettement plus proche de l'islam que tout ce que les poètes auraient pu imaginer de leurs Sarrasins.[1]

Il faut remarquer d'abord que deux sortes de fois sont étroitement mêlées : la foi chrétienne bien sûr, mais aussi la foi donnée au roi. L'une ne va pas sans l'autre. La religion et  la politique sont imbriquées. En devenant chrétien, le Sarrasin devient vassal de Charlemagne.

Le but de la guerre contre les païens est d'imposer une suzeraineté politique et religieuse. Le prétexte est  d'éradiquer le paganisme et les moyens sont simples : soit exterminer le mécréant, soit le convertir.

Le pape Urbain II au concile de Clermont en 1095 :

Partez donc, vous dont la réputation militaire remplit le monde entier! Partez, donc, abattre ces nations lâches. En avant! Seule la renommée de la célèbre vaillance des Francs suffira pour semer la terreur et pour faire trembler la terre entière!

ou encore :

Il est notoire que toute nation originaire des régions de l’Orient est desséchée par la grande chaleur du soleil, et que les habitants, tout en ayant plus de bon sens, ont moins de sang dans leurs veines, et que c’est pour cette raison qu’ils s’enfuient si volontiers du combat.

 

Saint Bernard de Clairvaux n'est pas en reste lorsqu'il dit à l'occasion de la troisième croisade :

 

Le Chrétien se glorifie de la mort d’un païen,
car par ce moyen le Christ
lui-même est glorifié.

 

Comment les chrétiens vivent-ils leur religion dans la Chanson ?

  Les manifestations de la foi 

  L'invocation de Dieu par la prière

Dieu, et c'est l'axiome de base, est du côté des Francs.  Ceux-ci l'invoquent fréquemment par des prières et des demandes d'intercession à la victoire.

Roland prie au moment de sa mort,

   Il tend à Dieu son gant

comme Charlemagne lorsqu'il engage la bataille contre Baligant.

3096  L'empereur descend de son destrier,
3097  sur l'herbe verte il s'est couché face contre terre,
3098   et vers l'orient il tourne son visage,
3099   de tout son coeur il invoque Dieu :
3100 
« Père véritable, aujourd'hui défends-moi,
3101   toi qui sauvas Jonas, c'est la vérité,
3102   de la baleine qui l'avait avalé,
3103   qui épargnas le roi de Ninive,
3104   qui préservas Daniel d'un terrible supplice
3105   quand il était dans la fosse aux lions,
3106   et les trois enfants jetés dans une fournaise,
3107 
 que ton amour m'accompagne aujourd'hui !
3108   Par ta bonté, accorde-moi de pouvoir,
3109   je t'en supplie, venger mon neveu Roland. »[1]

   Le culte des reliques

Les reliques sont une manière de rendre concrète la puissance de Dieu. Comme une sorte de talisman ou de fiole magique, la relique va protéger son possesseur des puissances du mal.

La pointe de Sainte Lance qui perça le flanc du Christ est enchâssée dans le pommeau de Joyeuse, l'épée de Charlemagne. Durendal, l'épée de Roland n'en possède pas moins que quatre : une des dents de saint Pierre, du sang de saint Basile, des cheveux de saint Denis et un morceau du vêtement de la Vierge. Murgleis, l'épée de Ganelon renferme également des reliques, mais on ne dit pas lesquelles...

 La réponse de Dieu

Quelles que soient leurs raisons, les chrétiens se battaient contre des non chrétiens et par là même Dieu se battait pour eux.[2] Dieu répond donc à ces prières en assurant la victoire aux combattants francs.

   De manière parfois spectaculaire, en arrêtant le soleil :

  Charlemagne vengera les morts avec l'aide de Dieu

   ou en envoyant des signes annonciateurs :

  Signes funestes

   mais également en mettant au service des chrétiens tout l'organigramme divin : La Sainte Trinité, Marie, les archanges et les anges, tous les saints et jusqu'aux diables qui vont chercher l'âme des païens.

La Chanson nous parle plus particulièrement de trois anges, saint Gabriel, saint Michel du Péril de la Mer (qui nous suggère évidemment l'abbaye du Mont-Saint-Michel) et plus curieusement Chérubin et non Raphaël, l'acolyte traditionnel des deux premiers anges. Les chérubins étant un rang du choeur des anges situés derrière les séraphins, on peut imaginer que le poète a préféré la rime à la théologie.

Roland bénéficie d'un traitement de faveur puisqu'il est escorté au paradis par trois anges :

  La mort de Roland

Charlemagne entretient une relation privilégiée avec saint Gabriel tout au long de la Chanson et jusqu'à la dernière scène :

  Et la lutte continue

Une petite mention spéciale pour les diables qui n'interviennent dans la Chanson que pour se saisir de l'âme des impies :

  Gerin grappe Malprimis

  Ici les démons emmènent l'âme de l'impie

  Marsile meurt

   Charlemagne est l'interlocuteur privilégié de Dieu qui lui envoie des songes prémonitoires par l'intermédiaire de saint Gabriel :

  Le rêve de Charlemagne

Ce rêve a deux interprétations :
1. il symbolise le châtiment de Ganelon. Le sanglier (Ganelon) mort le bras droit de Charlemagne (Roland). Le léopard (Pinabel) attaque le roi tandis que le vautre (Thierry) se porte à son secours.
2. il annonce la bataille de Roncevaux. Dans ce cas, le sanglier, figure symbolique démoniaque au Moyen Age, serait Marsile, le léopard Baligant et le vautre Roland.

  Songe prémonitoire

Ce rêve annonce la guerre contre Baligant (le lion) et son armée (les monstres).

Les songes de Charlemagne, merveilleux et surnaturels, sont une sorte de mise en abîme du récit.

 Vivre sa foi

   Tuer l'ennemi

Cette mission ne peut s'accomplir sans violence. Certains lecteurs seront sans doute choqués de constater qu'une morale et une esthétique de la cruauté guerrière sous-tendent cette épopée. Le poète, à travers la célébration d'une "liturgie du génocide" (J.-C. Payen) semble effectivement faire l'apologie d'une brutalité qui engendre la mort. Ce qui nous conduit à rappeler que nous avons affaire ici à une société où la justice se déclarait toujours à travers la force, et où la victoire était considérée comme un jugement de Dieu : la fin, du moment qu'elle était poursuivie au nom de la religion, justifiait tous les moyens.[3]

Aelroth et Roland

Prouesses de Roland et d'Olivier

  Roland

N'oublions pas, d'autre part, que le poète s'adressait à un public friand de prouesses guerrières. La férocité et la dureté sont admirées, et la plupart des chrétiens seraient navrés à l'idée que les Sarrasins puissent être plus violents qu'eux.[4]

  Génocide joyeux

   Convertir le païen

Les adeptes de Mahomet ont le choix entre deux options : la mort ou la conversion. Le refus de la conversion est preuve d'une obstination démoniaque et justifie parfaitement la mort sans autre forme de procès. Le baptême suffit à transformer le païen en chrétien et ceci sans la moindre instruction religieuse.

  Le baptême des païens

Exception de marque, la reine Bramimonde dont Charlemagne désire la conversion par amour. Le nom de baptême qu'elle reçoit est Julienne (de sainte Julienne de Cumes).

  Où Bramimonde est baptisée

La foi des chrétiens est une foi simple, très physique, qui s'enracine dans la Bible (plus souvent dans l'Ancien Testament), les miracles et les signes. Leur Dieu est un dieu créateur et tout-puissant, juste mais vengeur et qui n'est pas sans rappeler le culte de Jupiter.

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1. NORMAN DANIEL, Héros et sarrasins, p. 227,  Editions du Cerf, 2001
2. Ian SHORT, La Chanson de Roland, Lettres gothiques, 1990
3. Ian SHORT, La Chanson de Roland, introduction, p. 18, Lettres gothiques,1990
4. NORMAN DANIEL, Héros et sarrasins, p. 127,  Editions du Cerf, 2001

 

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